Quand on parle de réactivité, la plupart des gens qui ne connaissent pas bien le sujet pensent directement à un chien agressif : qui attaque, aboie, grogne, ou réagit mal envers d’autres chiens ou des humains.
Mais si tu as déjà entendu le terme dans un cadre un peu plus précis, tu vas sûrement me dire :
“C’est un chien qui dépasse son seuil de tolérance et réagit de manière trop intense émotionnellement.”
Et pourtant… la notion même de “réactivité” est floue dans la littérature scientifique.
Le mot a tellement de définitions différentes qu’en réalité, comprendre ce qu’il recouvre est bien plus complexe que juste dire “c’est un chien qui réagit trop fort”.
Alors, ça veut dire quoi “réagir” ? Et “trop fort”, ça veut dire quoi exactement ?
Qu’est-ce qui se passe dans le cerveau d’un chien réactif ? Pourquoi deux chiens réagissent-ils différemment à une même situation ?
Le comportement est-il automatique, appris, ou volontaire ? Est-ce une façon d’obtenir quelque chose ou d’éviter un malaise ? Est-ce toujours une forme d’agression ?
Et les chiens qui fuient, eux aussi “réagissent trop fort”, non ?
Et s’il s’agit plutôt de frustration (“je veux jouer mais l’autre chien ne répond pas, alors je monte en pression jusqu’à agresser”), est-ce encore de la réactivité ?
Ou peut-être un trait de personnalité, un chien qui a toujours fonctionné comme ça ? Mais dans ce cas, comment faire la différence entre personnalité et apprentissage ?
👉 Bref, il n’y a pas une seule réactivité, mais une multitude.
Et ça complique tout, parce que les protocoles d’accompagnement ne seront pas les mêmes d’un chien à l’autre.
Je te propose un résumé très simple de ce qu’on trouve dans la littérature scientifique, pour que tu voies à quel point le mot “réactivité” peut recouvrir des réalités différentes de ce qu’on entend habituellement sur les réseaux.
1. La réactivité émotionnelle
Ou emotional reactivity (ou affective style).
Selon Davidson (1998) : “Parmi les caractéristiques les plus frappantes des émotions humaines figure la variabilité, d'un individu à l'autre, de la qualité et de l'intensité de l'humeur et des réactions émotionnelles face à des situations similaires.”
👉 En gros, chacun réagit émotionnellement à sa manière et ce n’est pas propre à l’humain, on observe ça aussi chez d’autres espèces, dont le chien.
2. Les “coping styles”
Traduit un peu maladroitement par “styles d’adaptation”.
Il s’agit de façons de gérer le stress, plutôt stables dans le temps :
Type proactif / actif : explore, prend des initiatives, essaie de modifier la situation, libère moins d’hormones de stress, montre plus d’agressivité mais aussi plus de résilience.
Type réactif / passif : plus prudent, moins explorateur, subit davantage les situations, avec une réactivité plus forte de l’axe du stress (HPA), moins agressif, mais moins résilient.
👉 Ici, “réactif” ne désigne donc plus un comportement ponctuel, mais un profil de personnalité.
3. La sensibilité sensorielle (SPS – Sensory Processing Sensitivity)
Connue chez l’humain sous le nom de “haute sensibilité”, cette notion décrit la profondeur du traitement sensoriel : à quel point le cerveau filtre, analyse et répond aux stimuli.
Depuis 2020, on commence à étudier ce trait chez le chien (Dubé et al., 2020).
Les recherches sont encore limitées, mais les premières observations suggèrent qu’il existerait aussi chez eux.
4. L’agencivité (Agency)
Un concept passionnant mais encore peu discuté en France.
Spinka et Wemelsfelder la définissent comme :
“La propension d’un animal à s’engager activement dans son environnement pour acquérir des connaissances et améliorer ses compétences futures.”
En d’autres termes : à quel point un animal perçoit qu’il a du contrôle sur son environnement.
Les chiens avec forte agencivité sont proactifs, curieux, adaptables : “Qu’est-ce que je peux faire ici ?”
Ceux avec faible agencivité sont plus réactifs, rigides, évitent, subissent : “Qu’est-ce que cet environnement va me faire subir ?”
5. La perception humaine
Selon Stephens-Lewis et al. (2022), environ 95 % des gens pensent que la réactivité d’un chien est la faute du propriétaire, avant même de considérer les autres facteurs (comme les expériences passées du chien).
Cela montre surtout combien notre regard humain influence notre interprétation du comportement canin.
Les différentes définitions de la “réactivité” recouvrent en réalité :
un profil émotionnel (vitesse et intensité de la réponse émotionnelle),
un style de coping (façon de réagir au stress),
un trait de personnalité,
une perception humaine du comportement (“comportement inacceptable = chien réactif”).
Alors, faut-il arrêter complètement d’utiliser le mot “réactivité” ? Pas forcément.
Mais il est important de comprendre qu’il ne décrit pas un état fixe, encore moins une “étiquette”.
Et si on essayait maintenant de redéfinir ensemble ce que veut vraiment dire “réagir” ?